Le p?re Dutourd

Il ne sera donc plus jamais l?, dans ce grand appartement un peu sombre, rue Gu?n?gaud, o? j'allais quelquefois, timide, pour le voir. On causait de tout et de rien. Et avec l'air de rien, cet homme me disait tout. "La politique ? Foutez-vous de ?a, Taillandier ! Votre politique, vous la faites dans vos livres. Il n'y a que ?a qui doit compter. Relisez-vous, et barrez tous les mots inutiles !"
Jean Dutourd m'a fait d?couvrir, quand j'avais vingt-cinq ans, une grande chose: qu'il ne fallait jamais croire ce que la soci?t? dit d'elle-m?me. Que seuls nos ?crivains, nos peintres, ceux qui se sont br?l?s juste pour donner au monde leur petite m?lodie unique, sont les seuls ? dire la v?rit?. Comment, me dira-t-on ? Cet ?crivain bourgeois, cet acad?micien ? Oui. Il savait et il me l'a dit. Il a ouvert ?a devant moi. Le p?re Jean. Il savait tout de notre langue, de notre histoire, de nos po?mes. Il n'aimait que ?a. Il aimait comme il faut aimer: par coeur ! Il croyait, comme son cher g?n?ral de Gaulle, que la France ne cesserait jamais, ? cause de Corneille, ? cause de Balzac, ? cause de Toulet. Il esp?rait qu'il y aurait toujours des ?crivains fran?ais. Qu'ils soient auvergnats ou qu'ils soient n?gres, qu'ils se croient lorrains comme Barr?s ou parisiens comme Proust.

Par Fran?ois Taillandier,
quelques jours apr?s la disparition de son p?re en litt?rature.